Communiquer plus vite que la lumière (PRL)

« L’Espace […] est grand. Très grand. Vous ne pouvez vous représenter à quel point l’Espace est énormément, colossalement, incroyablement grand. Vous pensez peut-être que votre pharmacie locale est trop loin, mais c’est des cacahuètes comparé à l’Espace. » – Douglas Adams, traduction libre.

Communiquer dans l'espace à très grande distance

Plus que tout autre genre, la Science-Fiction se confronte au problème épineux de la communication à distance. En cet âge de l’Internet, nous avons l’habitude de pouvoir communiquer de façon quasi-instantanée avec n’importe qui sur la surface du Globe.

La lumière, et ce sous toutes ses formes (onde radio, laser, signal de fibre optique, etc.), se déplace tellement vite que nous avons rarement à déplorer plus de quelques dixièmes de seconde de latence. Pratique comme moyen de communication, il faut le dire !

Mais même cette vitesse ne représente absolument rien face aux monstrueuses distances en jeu dans l’espace.

Un signal lumineux met en moyenne entre ~1.2 et ~1.4 secondes pour arriver jusqu’à la Lune. Ça va. Jusqu’à Mars ? En fonction de la position relative des deux planètes, une onde radio mettra entre 3 et 23 minutes pour arriver à destination. Si tant est que le soleil ne soit pas dans le chemin. Ça fait entre 6 min et 3/4 d’heure pour avoir une réponse, même si elle est envoyée immédiatement. Rien à voir avec la seconde de lag qui vous irritait l’autre jour. Et si vous voulez envoyer un bonjour à Pluton ? Armez-vous d’un bon bouquin ; vous aurez peut-être une réponse d’ici 8 à 14 heures !

Quant à la communication entre systèmes stellaires ? À la vitesse de la lumière, vous pouvez l’oublier. Avec un temps de réponse chiffré en années, voir en générations, communiquer à la vitesse de la lumière est impossible en pratique. Pire encore, l’espace est rempli d’un tas de choses (nuages de poussière, astéroïdes, etc.) pouvant brouiller, bloquer, ou réfléchir votre message. Et dans ce cas, il n’y a pas de communication possible jusqu’à ce que le chemin soit de nouveau libre… Ce qui pourrait prendre des millions d’années dans certains cas.

Et dans la SF, alors ?

Afin de ne pas être forcé·es de donner à chaque histoire de SF une oppressante ambiance d’isolation totale, les auteurices du genre ont imaginé divers types de communication alternatives.
Allant de l’extrêmement rapide à l’instantané on les désigne globalement par « communications FTL » (Faster Than Light, plus rapides que la lumière). Certaines sont plus crédibles que d’autres. Certaines sont plus centrales à l’intrigue que d’autres. Mais vous êtes-vous jamais demandé·e lesquelles étaient les plus réalistes ? Ou les plus scientifiquement correctes ?

Curieuses et curieux, vous êtes au bon endroit.

Je vous ai (arbitrairement) groupé quelques-unes de ces méthodes retrouvées dans la science-fiction, triées par ordre croissant de réalisme:

1. Ta G*, C'EST TECHNOLOGIQUE !

Cette catégorie, semblable à sa grande sœur « ta g***, c’est magique », regroupe toutes les méthodes dont le fonctionnement n’est pas décrit ; ça marche, c’est tout. Afin de ne pas détruire la suspension de l’incrédulité, des limites sont souvent placées sur ces systèmes, mais leur vrai méthode de fonctionnement reste un mystère. Rien d’illégitime à ça. Quelques exemples seraient les pouvoirs psychiques dans « La Rowane » de Anne McCaffrey, ou les Ansibles d’Ursula Le Guin.

2. ULTRA-ONDES, SOUS-ESPACE & CIE

 Il s’agit de l’option prise par le cycle de « Fondations » d’Isaac Asimov, les jeux vidéo « Halo », ou par la série « Star Trek ». Ces méthodes partent du principe qu’il existe une dimension parallèle (ou équivalent), où les lois de la physique sont différentes. Par exemple, la vitesse de la lumière peut y être dépassable, ou bien le temps ne s’y écoulerait pas. L’avantage de ces ressorts scénaristiques, outre le fait qu’ils offrent souvent aussi une méthode de voyage FTL, est qu’ils sont à ce jour infalsifiés. Les scientifiques n’ayant jamais trouvé de dimensions parallèles, mais n’ayant pas non plus démontré qu’elles n’existent pas, vous pouvez vous permettre d’offrir une explication sans avoir à vous plier à la réalité ! Ou en tout cas, pas à la nôtre.

3. COMMUNICATION TACHYONIQUE

Ah, là on entre dans la science moderne. Le terme « tachyon » désigne toute particule se déplaçant obligatoirement plus vite que la lumière (contrairement à la matière ordinaire, dite ‘bradyonique’, qui ne peut la dépasser) [1]. Même si cela en ferait les meilleurs des messagers, tout tachyon violerait les principes de la Relativité d’Einstein, entres autres problèmes, et peu de scientifiques les pensent encore possibles. À ce stade, aucun tachyon n’a jamais été observé, et ils restent donc un concept théorique. Attention, cela ne veut pas dire qu’ils ne sont qu’une équation prenant la poussière dans un tiroir ! Si leur vitesse supraluminique est leur attribut le plus connu, les tachyons ont plein d’autres propriétés étranges, dont certaines ont prouvé leur utilité.

Par exemple, la particule qui donne à toute matière sa masse, le fameux Boson de Higgs, est décrite par certaines des propriétés mathématiques développées pour les tachyons [2]. Du coup, et même si le Boson de Higgs ne peut aller plus vite que la lumière, il existe une (faible) possibilité que l’on trouve un jour une particule ayant toutes les propriétés d’un ‘vrai’ tachyon.

Bref, même si leur existence est peu probable, des œuvres comme le cycle de « Dune » de Frank Herbert ou la série « Babylon 5 » ont joyeusement utilisé des tachyons comme moyen d’envoyer des messages d’un bout à l’autre de la galaxie.

4. INTRICATION QUANTIQUE

L’intrication quantique est un effet bien réel. Le terme désigne des paires de particules liées d’une façon à se comporter comme un objet unique [4,5,5a]. Petite leçon de physique. Il faut savoir que de nombreuses particules émettent un faible champ magnétique. La direction de ce champ, plus que le champ en lui-même, est une propriété extrêmement importante en physique quantique. On appelle cette direction le ‘spin’ d’une particule [3]. Il est ainsi possible de lier deux particules de façon à ce que, entres autres propriétés, leur spins respectifs s’additionnent ou s’annulent. Par exemple, si un champ va vers le haut (spin +), l’autre ira vers le bas (spin -) de telle façon que le champ total disparaisse (spin 0). Vos particules sont alors dites ‘intriquées’ à spin zéro. C’est aussi simple que ça.

Super, mais en quoi est-ce un moyen de communication ?

Vous vous souvenez du chat de Shrödinger ? Celui qui est mort et vivant à la fois tant que la boîte est fermée, mais qui sera l’un ou l’autre quand on ouvre et regarde ? C’est vrai pour nos spins intriqués: chaque spin est à la fois ‘+’ et ‘-‘, tant que l’on n’observe pas le système. Par contre, pendant tout ce temps, la somme des deux restera nulle en permanence. Ce qui signifie que si l’on mesure le spin d’une des deux particules, et que le résultat est « spin + », l’on sait immédiatement que quelqu’un mesurant l’autre verra « spin -« , et vice-versa. Cette propriété est, en apparence, vraie peu importe la distance séparant les deux objets au moment de l’observation.

Mots clefs : en apparence. J’y reviendrai.

L’intrication quantique comme moyen de communication fonctionnerait donc en intriquant un grand nombre de particules entre elles, puis en les répartissant entre deux émetteurs-récepteurs. En forçant une particule intriquée à prendre un spin donné dans l’un, l’on saurait que la particule associée a pris le spin inverse dans l’autre. Répété en grand nombre, on obtiens une série de ‘+’ et de ‘-‘ (i.e. de ‘1’ et de ‘0’) pouvant former un message en binaire. Techniquement parlant, les deux moitiés d’un ‘communicateur quantique’ devraient être en présence l’une de l’autre au moment de leur construction afin d’être intriqués, séparés manuellement, et à utilisation unique. Bien entendu, cela reste à la discrétion de l’auteurice.

Ce moyen de communication FTL est assez répandu dans la fiction en général; des résonateurs à aimant dans la trilogie « À la croisée des Mondes » de Philip Pullman, aux qubits du jeu de rôle « Eclipse Phase »… J’en passe, et des meilleurs. Rien d’étonnant à cette popularité, vu que la méthode combine deux caractéristiques difficiles à concilier: le réalisme et l’exotisme. Elle est réaliste, parce qu’elle est basée sur un effet bien réel, mais elle reste exotique, parce que les effets quantiques sont aussi étranges que familiers (et mal définis) dans l’imaginaire collectif.

En parlant d’être mal défini, l’heure est venue de revenir sur cet apparent mépris de la distance. Pour vous faire comprendre ce qui divise la communauté scientifique, permettez-moi, cher.e lecteur.ice, de reprendre le chat de Shrödinger et de vous poser une question.

Sachant que le chat sera forcément mort ou vivant dès que l’on ouvre la boîte, comment fait-on pour faire la différence entre une boîte qui contenait un chat jusque-là mort et vivant, d’une boîte qui contenait déjà un chat mort ou vivant ?

Une grande partie des physicien.ne.s spécialisé.e.s en physique quantique sont de l’avis que séparer des particules intriquées provoque « l’effondrement » du système. C’est-à-dire que séparer les particules va mener l’une d’entre elles à prendre le spin +, et que l’autre prendra le spin -, au hasard. En gros, l’on aurait deux chat de Shrödinger intriqués à « ni mort, ni vivant », et séparer les boîtes forcerait un des deux chat à mourir, et l’autre à vivre. L’on aurait donc deux boîtes avec un chat mort ou vivant.

À l’inverse, une minorité remet en cause cette analyse, et pense que l’intrication est bel et bien indépendante de la distance. Le problème est qu’à ce jour, des preuves mathématiques solides existent pour les deux camps [4,6,7], et que concevoir une expérience permettant de trancher est hors de notre portée actuelle. Question en suspend, merci de patienter.

C’était un gros morceau, n’est-ce pas ? Félicitation d’être arrivé.e jusque-là. Encore un petit effort, il me reste le mot de la fin.

Même si les scientifiques ne sont pas encore vraiment préoccupé.e.s par la communication FTL, des idées intéressantes basées sur des théories établies ont été émises. Par exemple, la découverte en 2015 des ondes gravitationnelles, de véritables vagues dans l’Espace-Temps, a réveillé l’intérêt de certain.e.s scientifiques pour un vieux concept de moyen de /transport/ plus rapide que la lumière: la propulsion Alcubierre [8]. Proposée en 1994, elle suggère de déformer l’Espace-Temps autour d’un vaisseau, contractant les distances devant lui et les étirant derrière, parcourant en un instant de grandes distance sans réellement avoir à dépasser la vitesse de la lumière. Autrement dit, si la communication FTL est encore une incertitude, le voyage FTL n’est plus une question de ‘est-ce théoriquement possible’, mais bien ‘comment peut-on y arriver en pratique’. Du coup, le moyen le plus rapide pour faire passer un message entre deux systèmes stellaire sera peut-être bien de l’y emmener.

Est-ce que je suis en train de dire que l’ère du voyage interstellaire pourrait être un nouvel âge d’or pour la poste et les coursier.e.s ?

Oui. C’est exactement ce que je suis en train de dire.

Unblurers, à la prochaine !

Références

[1] R.S. Vieira, « an introduction to the theory of tachyons », arXiv:1112.4187

[2] M. Strassler, 12 October 2012, « The Higgs FAQ 2.0 », ProfMattStrassler.com.

[3] https://fr.wikipedia.org/wiki/Spin

[4] B. Nordén, « Quantum entanglement: facts and fiction – how wrong was Einstein after all? », Quarterly Reviews of Biophysics (2016), 49, e17, pp. 1-13, doi:10.1017/S0033583516000111

[5] https://fr.wikipedia.org/wiki/Intrication_quantique

[5a] https://www.franceculture.fr/emissions/la-methode-scientifique/la-methode-scientifique-emission-du-mardi-14-mai-2019

[6] Eberhard and Ross, May 1988 « Quantum Filed Theory cannot provide Faster-than-Light communication », Physics Letters 2, https://escholarship.org/uc/item/5604n7md

[7] Peacock and Hepburn, June 1999, « Begging the signalling question: Quantum Signalling and the Dynamics of Multiparticle Systems », arXiv:quant-ph/9906036v1

[8] Clara Moskowitz, 17 Septembre 2012, https://www.space.com/17628-warp-drive-possible-interstellar-spaceflight.html

Qui est l'auteur de cet article ?

Maxime

Unblurers de tous bords, bonjour ! Je m’appelle Maxime Renaud/Maxren, un des « scientifiques maison » d’Unblur. C’est mon amour pour la fiction en tous genres qui m’a amené à … Voir la suite

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